Caro Riccardo,

ho letto stamattina su "Cronache" quel che scrive Gian Carlo Marchesini sul film "Germania anno zero" e la celebrazione del trentennale della caduta del Muro (si tratta piuttosto del ventennale), film che ho visto due volte alla tv francese. Ti chiedo di trasmettere a G.C.Marchesini l'articolo qui sotto, pubblicato sul giornale "Le Monde" il 21 dicembre 2008, presentando il film tedesco "Anonyma, una donna a Berlino" del regista Max Färberböck, uscito in Germania alla fine di ottobre dell'anno scorso, non ancora distribuito in Francia. Lo aspetto con grande interesse! Se il tuo amico legge il francese, quello che riporta la giornalista Lorraine Rossignol può completare un po' le immagini create da Rossellini. Più o meno tutte le città tedesche sono state alla fine della guerra "... rovine spettrali" (ad es Amburgo, distrutta al 70%). Gli storici ritengono che 100.000 donne tedesche siano state stuprate tra aprile e settembre 1945 a Berlino, in totale 2 milioni sul fronte sovietico. Un argumento tabù...anche nella mia famiglia: non si parlava chiaramente del fratello di mio nonno paterno, tipografo a Berlino; è stato forzato a assistere allo stupro della sua moglie da parte di parecchi soldati dell'Armata Rossa; rimasti soli nella soffitta, i due si sono autoeliminati. Questo  film si basa sul diario di Marta Hillers, giornalista berlinese, pubblicato anonimo nel 1954, in inglese, negli Stati Uniti, nel 1959 in tedesco, in Svizzera: uno scandalo! L'identità dell'autrice è stata rivelata soltanto nel 2003, due anni dopo la sua morte. "Chi semina vento raccoglie tempesta"... Noi, figli dei pazzi associati nell'Asse Roma-Berlino, abbiamo imparato il significato di queste parole, mi sembra... Nata durante "questa tempesta", cresciuta a Lipsia nella Germania dell'Est, rifugiata all'Ovest prima della costruzione del Muro, facevo la ragazza alla pari in Francia e nessuno ha capito perché piangevo tanto il 13 agosto 1961, leggendo il giornale. Senza esagerare: ho provato una gioia indescrivibile quando ho saputo il 9 novembre 1989 che questo muro disumano e la frontiera tra le due parti del mio paese erano di nuovo "aperti". Spero che tu stia benissimo. Ciao. Sonia

 

Deux millions d’Allemandes ont été violées par des soldats russes entre avril et septembre 1945. Un film, « Anonyma, eine Frau in Berlin », fait événement en Allemagne, qui lève un tabou



"Seules dans Berlin"


LE MONDE | 20.12.08 | 14h27 • Mis à jour le 20.12.08 | 14h27
Ils sont là. Cette fois c'est sûr. En
cette fin avril 1945, cela fait des jours que, dans Berlin encerclée,
on ne parle que de "ça". La soudaine amplification des tirs
d'artillerie et des canons antiaériens ne laisse plus guère de place au
doute. Les Russes sont là. Terrées, en compagnie des enfants et des
vieillards, dans l'obscurité des
caves ou des bunkers, pour la plupart
sans nouvelles de leur homme parti sur le front, les femmes de la
capitale du Reich savent à quoi s'en tenir. La propagande nazie contre
les
"russische Bestien" (ces "bestiaux de Russes") a bien fait son travail.

Les soldats russes, souvent des paysans venus de Sibérie, du Caucase
ou de Mongolie, veulent des femmes, symboles de leur victoire sur
l'
Allemagne hitlérienne. Mères de famille, adolescentes,
sexagénaires... toutes satisfont à l'idée valorisante que les "Ivan" -
ainsi les surnomme-t-on - se font de la
"Deutsche Fräulein".
Livrées en pâture, maintes Berlinoises seront extirpées de leur
souricière et traînées dans les couloirs, les annexes des
caves, les
cages d'escalier, pour y être violées. Les historiens évoquent 100 000
viols commis à Berlin entre avril et septembre 1945, et en tout 2
millions d'Allemandes violées sur le front soviétique.

Presque soixante-cinq ans se sont écoulés. Chaque famille d'Allemagne porte de
près ou de loin ce drame en mémoire. Mais personne n'a jamais osé en
parler (surtout à l'Est, où critiquer le "grand frère" russe était
défendu). L'humiliation, la honte, la douleur, étaient trop fortes. Le
tabou paraissait insurmontable. D'autant qu'au regard des crimes commis
par les nazis, un interdit tacite empêchait les Allemands d'évoquer les
souffrances endurées pendant la guerre : ils auraient aussitôt été
accusés de révisionnisme.

La parole semble pourtant se libérer.
Tout en veillant toujours à rappeler la responsabilité initiale du
régime nazi, de plus en plus de documentaires et de téléfilms se
mettent à évoquer le tribut payé par les Allemands à leur Führer et aux
Alliés : martyre de Dresde bombardée, torpillage du Gustloff et de ses 10 000 passagers,

exode de 12 millions d'Allemands expulsés des territoires de l'est du Reich...

 

Avec le film Anonyma, eine Frau in Berlin, réalisé par Max Färberböck
et sorti sur les écrans allemands fin octobre, la question des viols
massifs commis par les Russes en 1945 est pour la première fois abordée
au cinéma. Avec la star allemande Nina Hoss dans le rôle principal, le film adapte

Une femme à Berlin (Gallimard, 2006), le journal intime tenu entre le 20 avril et le 22 juin 1945

par Marta Hillers (1911-2001), journaliste berlinoise âgée de 34 ans au moment des faits.

 

Dans cet ouvrage, Marta Hillers
(son identité, retrouvée par la presse en 2003, a finalement été
révélée, mais elle-même avait tenu à rester anonyme de son vivant)
relate le quotidien des habitants de la capitale nazie livrée aux
Russes : absence d'eau courante et d'électricité, quête de nourriture,
rationnements et pillages. Rien d'exceptionnel : de nombreux autres
carnets de bord attestent d'un besoin généralisé de mettre en mots le
chaos.

 

Mais le témoignage de la journaliste reste sans pareil. Mêlant lucidité et cynisme

à une précision rigoureuse, Marta Hillers
y rend compte, jour après jour, des viols qu'elle subit comme si
elle-même n'en était pas l'objet. Comme si la glace qui envahit son
corps au moment où il est violenté habitait le récit en entier. S'il
fait événement en
Allemagne par le thème auquel il s'attaque, le film
de Max Färberböck,
lui, tente de raconter l'irracontable au grand public, c'est-à-dire en
version quelque peu édulcorée. Il transforme en romance amoureuse une
relation foncièrement pragmatique : celle que la journaliste berlinoise
a recherchée et entretenue, après avoir été violée à plusieurs reprises
par différents "Ivan", avec un major de l'Armée rouge.

 

"Comme Marta Hillers,de nombreuses Allemandes ont usé de cette stratégie : quitte à être violée,

autant l'être par le même à chaque fois, par quelqu'un dont l'autorité tient
les autres à distance et qui assure protection et subsistance - les
mères de famille en particulier y ont vu un moyen de nourrir leurs
enfants"
, explique la journaliste Ingeborg Jacobs, qui vient de publier Freiwild ("Proies") (éd. Propyläen), une enquête pour laquelle elle a rencontré près de 200 femmes violées par des Russes en 1945

 

De fait, "l'histoire d'Anonyma est un peu celle de Maman", raconte Ingrid Holzhüter.
Elle avait 9 ans lorsque les Russes arrivèrent dans le village de
Vogelsdorf, non loin de Berlin, où sa mère a décidé de se réfugier,
après le bombardement de l'appartement berlinois de la famille. Le père
est mort au combat, en France, à 29 ans.
"Maman était particulièrement jolie, les Russes l'ont tout de suite repérée", se rappelle avec lassitude cette femme aujourd'hui âgée de 72 ans, qui,
après toute une vie de lutte politique pour les droits de la femme,
s'en remet aujourd'hui au bonheur simple de tricoter pour ses
petits-enfants.

 

Dès leur arrivée à Vogelsdorf, ils sont venus
trouver ma mère. Et puis ils sont revenus chaque nuit, pendant des
semaines, arrivant chez nous braguette ouverte. J'entendais ma mère
supplier, appeler au secours..."
- la fillette sera même, une fois, témoin de l'un de ces viols commis sous ses yeux. "Jusqu'à ce qu'elle devienne la maîtresse d'un commandant, et qu'il nous prenne sous son aile.

"Très répandue, cette stratégie de survie sera mal perçue dans l'Allemagne
d'après-guerre. Les hommes, lorsqu'ils rentrent du front ou des prisons
de guerre
"se détournent de leurs femmes ou fiancées, parce qu'ils les jugent sales et indignes", raconte Ingeborg Jacobs. "Vous êtes devenues aussi impudiques que des chiennes, toutes autant que vous êtes dans cette maison !", s'écrie Gerd, le petit ami de Marta Hillers, lorsqu'elle lui donne son journal à lire.


Le journal de Marta Hillers
a d'abord été publié en anglais aux Etats-Unis, en 1954. Il faudra
ensuite attendre cinq ans avant qu'une maison d'édition suisse
germanophone en propose une version en allemand (aucun éditeur allemand
n'a voulu du manuscrit). La publication fait scandale. La journaliste
est accusée de s'être
"prostituée". Une réaction universelle dès qu'il s'agit de viol : "Les
femmes violées sont toujours doublement frappées : une première fois
par le viol, puis par le rejet de la société. Cette inversion de la
culpabilité est typique de nos sociétés patriarcales"
, dénonce Monika Hauser,

fondatrice et présidente de l'ONG Medica Mondiale,
qui vient de recevoir le prix Nobel alternatif de la paix pour son aide
apportée, ces quinze dernières années, aux femmes violées dans le cadre
de conflits internationaux : Bosnie, Afghanistan, Congo...

 

Cela fait longtemps que cette gynécologue de formation, qui a
commencé sa carrière médicale dans une clinique de
Rhénanie-du-Nord-Westphalie, voulait aborder la question des viols
commis en Allemagne par l'Armée rouge en 1945. "Tant de patientes
m'en faisaient le récit, lorsque j'étais jeune médecin... Je comprenais
alors pourquoi certaines n'avaient pas voulu d'enfants, ne s'étaient
pas mariées, avaient des pulsions suicidaires ou abusaient de
médicaments."
La sortie au cinéma d'Anonyma prouve toutefois que "la société allemande pourrait être enfin prête à entendre la souffrance de ces femmes murées dans le silence", estime-t-elle.

 

Question, aussi, de génération. En effet, "mères et filles ont toujours eu trop honte pour pouvoir aborder ce thème ensemble", rappelle Ingeborg Jacobs.
Dans son enquête historique, la journaliste décrit à quel point les
mères ont tout fait pour protéger leurs filles du viol - quitte à se
proposer à leur place lorsque ces dernières en étaient menacées -, et
combien les filles, même enfants, se sentaient investies d'un sentiment
de responsabilité en tentant de cacher leur mère, lorsque les Russes
arrivaient.
"Mais les petits-enfants, et notamment les petites-filles, posent aujourd'hui

des questions à leurs grands-mères." Des grands-mères qui, justement, se retrouvent seules face à leurs souvenirs : "Ces
femmes ne travaillent plus depuis longtemps, leurs enfants ont quitté
la maison et leurs conjoints sont parfois décédés. Des images
remontent, qui les obsèdent."

 

Aujourd'hui, il y a urgence à recueillir cette parole : "Bientôt, toutes les victimes auront disparu", souligne Monika Hauser, qui ne voit pourtant "toujours aucune volonté politique de la faire émerger".
Si, pour la première fois en Allemagne, un appel à témoignages vient
d'être lancé par le Centre de recherches psychiatriques de l'université
de Greifswald, cette initiative n'a reçu aucun financement de l'Etat.
"L'idée
est de savoir comment ces femmes, qui n'ont jamais bénéficié du moindre
soutien psychologique, sont parvenues à vivre jusqu'à aujourd'hui"
, explique le docteur Philipp Kuwert,
qui dirige ce programme. Le projet doit déboucher à la fois sur une
étude scientifique et sur la mise en place d'une thérapie ciblée, la
première également, à destination des personnes âgées.

Mais  est-il encore temps ? Après s'être tues si longtemps, ces grands-mères
meurtries qui, dans leurs maisons de retraite, sont prises de panique
lorsqu'elles entendent des aides-soignantes parler russe ou lorsqu'on
veut leur poser une sonde urinaire, sont-elles prêtes, au terme de leur
vie, à raconter leur grand secret ? Peuvent-elles seulement encore être
soignées ? "Il n'est jamais trop tard", assure le docteur Kuwert. Pour lui,

avoir la parole est déjà, en soi, un acte de guérison.



Lorraine Rossignol